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La stratégie cross-media, mécanique de l’image de marque

Tribune d'expert / 24 mai 2019

La déclinaison actuelle de la publicité sur un nombre croissant de formats médias lui procure un potentiel de persuasion décuplé – potentiel qui va continuer de gagner en puissance avec l’addition du canal vocal, puisque le marché des enceintes connectées et assistants vocaux est encore à peine effleuré. Ses formats et contenus sont pourtant examinés de façon de plus en plus critique, par ces consommateurs à qui ils paraissent déjà assez intrusifs sur les canaux digitaux. Les plus ardents réfractaires sont les ad-blockers, eux qui représentent en France cette année un adulte connecté sur quatre. Pourtant, 68% des consommateurs estiment que les annonceurs parviennent à mieux communiquer avec eux que par le passé. L’étude Dimension de Kantar Media a tenté d’éclaircir ce paradoxe en mettant à contribution les leaders du secteur des médias tout en interrogeant les consommateurs qu’ils cherchent à atteindre.

Le secteur ne parle plus que d’une économie de l’attention. Dans un paysage médiatique fragmenté où l’attention du consommateur est à la fois plus sollicitée et moins facile à conserver, l’enjeu ne consiste plus seulement à communiquer sur les bons canaux, mais de manière adéquate aux bons moments. Les stratégies cross-média intégrées semblent répondre aux nouveaux paramètres de réceptivité du marché.

1. Convaincre la globalité de son audience, quelles que soient ses préférences ou habitudes médias

Le consommateur connecté est utilisateur d’une plus large gamme de médias. En parallèle des évolutions du marché, il a développé des habitudes qui se sont ajoutées aux anciennes, sans pour autant les remplacer. Un consommateur connecté sur deux a donc pu remarquer la tendance des marques à faire leur promotion sur plusieurs médias. Selon l’étude Ad-Réaction de Kantar MillWard Brown, ils sont un sur trois à considérer que la publicité en devient plus cohérente.

En cherchant à mesurer l’évolution de l’opinion des consommateurs vis-à-vis de la publicité, Kantar Media a créé l’Ad Positive Score à partir des données de l’étude DIMENSION ; l’Ad Positive Score combine indicateurs de comportements, ressenti des facteurs tels que le niveau de personnalisation du message, et réactions au message. Cet indice permet de  comprendre la capacité du mix média à générer une réponse positive. Il se situe à 53,3 pour la France, toujours moins positif que sur les autres grands marchés médias, dont la moyenne globale s’élève à 58,4. Comme le phénomène des ad-blockers, l’Ad Positive Score traduit une déception du marché français vis-à-vis de la transposition du marketing publicitaire sur les nouveaux médias.

Le fait est que la publicité est plus appréciée sur les supports traditionnels et jugée de plus en plus intrusive sur le online. On lui reproche ses apparitions trop répétitives sur les écrans, son manque de pertinence et son intervention dans un contexte inadéquat ou chronologiquement inexact par rapport aux achats effectués. Le retargeting, ciblage largement utilisé en programmatique, se positionne au centre de ces considérations et reste globalement mal accueilli.  56% des consommateurs interrogés dans le cadre de l’étude disent rencontrer trop souvent des publicités en ligne pour des produits qu’ils ont déjà achetés.

Dans ce contexte, comment retrouver l’attention de l’audience que l’on cible ? A la différence d’une communication à 360° dont le but est de répandre un message sur le maximum de points de contact, une campagne cross-média intégrée mobilise une dimension supplémentaire, celle de la coordination et de l’arbitrage de ces points de contacts. Cette stratégie cherche à toucher une réunion de segments d’audience, et à inclure ceux qui choisissent d’éviter certains canaux : utilisateurs de VOD, ad-blockers et autres.

2. Préserver et soigner son image de marque

Consultant en moyenne trois sources médias pour se renseigner sur une marque, les consommateurs se tournent vers les canaux qu’ils jugent fiables :

Cette pratique souligne que le degré variable de réceptivité d’une audience ne dépend pas seulement de ses préférences de formats, mais des différentes déclinaisons du message de marque. Un contenu ou message semblera plus approprié sur un média, et son manque d’adaptation sur un autre paraitra bâclé, suspicieux, voire pénible.

Les ad-blockers ne sont pas les seuls à avoir constaté un manque d’adaptation du message dans certaines déclinaisons multicanales ; les leaders du secteur le reconnaissent également. Laurent Bliaut, Directeur Général Adjoint de TF1 Publicité, déclare : « Insérer un pre-roll de 30 secondes avant un contenu vidéo de deux minutes n’est pas une très bonne idée. Or plus de 85 % des spots publicitaires diffusés sur nos plateformes digitales sont les mêmes qu’à la télévision. C’est un problème, je pense qu’ils ne sont pas suffisamment adaptés. »

De part et d’autre, le message est clair : le online n’est pas du offline sur un écran mobile. Or une marque est avant tout une projection  dans laquelle le consommateur se reconnait et qu’il est facilement capable d’identifier à travers des actions cohérentes. Son image est impactée par chacune des occurrences de son message – et peut-être plus rapidement que par le passé.  La forte corrélation (0.93) entre la performance d’une campagne et celle de chacun de ses éléments testés individuellement démontre que chaque élément créatif a son importance. (Source : étude Ad Reaction)

Une campagne cross-média intégrée a pour objectif d’entrelacer unité du message et multiples points de contact, afin de préserver l’image d’une marque dans un paysage médiatique où certaines occurrences échappent entièrement à son contrôle. Dans ce contexte, il est d’autant plus essentiel qu’une idée centrale forte soutienne chacune des déclinaisons qui lui appartiennent.

En revanche, cet ajustement ne doit pas prendre le pas sur la cohérence globale de la campagne. La multiplication des formats alliée à la tendance à l’hyperpersonnalisation résultant du ciblage pourrait induire une déconnexion entre les différentes opérations marketing et publicitaires. Il est peut-être nécessaire de replacer le ciblage sur les rails de son objectif premier : il est utile quand il permet de mieux comprendre un segment d’audience en approfondissant ses centres d’intérêts ; il devient contreproductif quand il ne sert qu’à regrouper des consommateurs mal identifiés qui se sentent alors mal compris – comme c’est le cas du ciblage générationnel.

3. Une stratégie d’anticipation pour garder la main sur sa réputation

La réceptivité d’une audience est également fortement corrélée au contexte d’apparition d’un message, qu’il soit publicitaire ou non. Une publicité en ligne, par exemple, est plus légitime dans un contexte de recherche d’informations que quand elle interrompt un moment de détente, particulièrement sur un support mobile.

En situation de crise ou d’atteinte à la réputation de la marque, la corrélation entre contexte et réceptivité d’une audience s’accentue. 23% seulement des consommateurs estiment que les réseaux sociaux seraient à même d’influencer leur perception d’une marque en cas de publicité négative, bien que 33% les estiment fiables en temps normaux.

Quand on sait que 20% des points de contact génèrent 80% de l’impact sur la préférence de marque (source : étude Connect, Kantar TNS) et qu’il suffit d’un « bad buzz » pour anéantir l’intégralité d’un investissement publicitaire (comme ça a été le cas pour la campagne Pepsi utilisant l’actualité des mouvements de droits civiques aux Etats-Unis), il est crucial pour les annonceurs d’apprendre à piloter leurs campagnes avec réactivité. Les stratégies cross-média ont démontré qu’il existe deux leviers principaux pour l’accroitre : l’association de canaux se complémentant et l’usage d’alternatives à la communication publicitaire.

En cas d’évènement imprévisible, d’incompréhension d’une campagne ou de contexte de diffusion inapproprié, RP et marketing d’influence ont été jugés plus efficaces pour conserver la maitrise de sa réputation. Englobant à la fois la publicité dite « classique » et ces alternatives, les stratégies intégrées permettent de rebondir sur les occurrences qui ont lieu en dehors du contrôle de sa marque, et de les réintégrer dans un discours approprié.

4. Des campagnes plus performantes

Une campagne intégrée est 57% plus efficace en termes de performance globale, selon l’étude Ad Reaction de Kantar Millward Brown. Dans une économie de médias mixte, performance et intégration sont devenues interdépendantes au point que même une campagne encore mal adaptée à ses différents canaux reste 31% plus efficace qu’une campagne non intégrée.

En pratique, l’élan du secteur tend vers l’intégration. On observe une croissance de 9% des stratégies cross-médias intégrées au premier trimestre 2018 comparé à la même période en 2017. La marge de progression reste néanmoins importante, puisqu’une campagne sur quatre n’est toujours pas intégrée.

Les stratégies 100 % médias traditionnels sont en tous cas en régression et le digital gagne du terrain en termes d’investissements publicitaires. Il concerne aujourd’hui deux annonceurs sur trois et représente 36% des investissements médias en France, soit dix points de plus que l’année précédente. (Source: BUMP - Baromètre Unifié du Marché Publicitaire)

Pourquoi une telle performance des campagnes intégrées ?Avec l’étude Dimension, les consommateurs et les professionnels n’hésitent pas à rappeler au secteur l’origine de son existence : convaincre les consommateurs ! Les annonceurs avaient identifié un besoin de contenus et de story-telling, l’évolution du paysage médiatique a entrainé avec lui les attentes des consommateurs qui recherchent avant tout à présent des expériences de marques : native advertising, social take-overs, programmes d’affiliation, publicité gamifiée…

La performance des stratégies intégrées provient certes de la recherche d’une exposition média optimale, mais surtout de son objectif premier : proposer une expérience agréable et différenciante. Pour convaincre, il faudra donc réinventer les formats publicitaires qui n’ont pas seulement déplu, mais irrité.

Les possibilités d’adaptation du message à chaque format média n’ont pas fini de se multiplier avec les avancées technologiques, et c’est de cette créativité intégrée que dépend dorénavant la performance d’une campagne médias.

5. Passer maitre dans l’art des stratégies cross-médias : les challenges de la data

Les leaders du secteur ont profité de l’étude Dimension pour insister sur leur besoin commun de bonnes pratiques. Le bon déroulement d’une stratégie cross-médias dépend du travail exécuté en amont et en aval autour de la data, et celle collectée sur les sites et plateformes sociales doit pouvoir être comparée aux métriques existantes pour les médias traditionnels.

La gestion commerciale des réseaux sociaux et l’approche fermée en « walled garden » de certaines plateformes rend l’accès aux données difficile. Le défi d’une mesure transverse aux différents formats émerge au fur et à mesure que les nouveaux médias ne sont plus si nouveaux, mais au contraire usuels et précurseurs des médias à venir.

Pour certains annonceurs, le manque de visibilité s’étend à la construction d’une passerelle entre médias et RP. Selon Khali Sakkas, Directeur au Conseil d’Administration AMEC : « Les données dont vous avez besoin pour une mesure efficace et des insights stratégiques ne seront pas toujours recueillies et amenées par l’équipe RP. Une approche intégrée des insights présente alors un réel intérêt en termes  de business. »

Malgré sa compréhension des enjeux de l’intégration, le secteur se laisse encore porter par l’évolution des technologies.

Bien que les consommateurs soient sensibles aux efforts et améliorations du secteur des médias, il reste beaucoup à faire en termes de créativité et de pertinence des campagnes. La réflexion autour d’un message de marque lisible et cohérent doit naturellement prendre sa place autour de ses contextes d’apparition, quels que soient les médias choisis.

Les formats médias réellement disruptifs tels que la réalité virtuelle, la réalité augmentée et les interfaces à commande vocale offrent une opportunité d’expression inédite que les annonceurs n’hésitent pas à saisir, bien que ces dispositifs n’aient pas encore fait leur entrée en masse dans les foyers. Les expérimentations ont déjà commencé : bouteille de ketchup Heinz « augmentée » distributrice de recettes, test drive de Volvo en réalité virtuelle, création d’un filtre Snapchat « Stranger things » en  réalité augmentée lui aussi…

La tendance des campagnes médias vers plus d’intégration est peut-être une décision réfléchie de leur part ; peut-être pas. Peut-être la technologie porte-t-elle plus qu’on ne le pense leur évolution, et que le mot de la fin revient au consommateur, qui choisit ou non d’intégrer la technologie à son quotidien.

 

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