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Avenir du retail : la preuve par la Chine 

Tribune d'expert / 28 octobre 2020

Quand Auchan vend ses activités à Alibaba, faisant de ce dernier le leader de la distribution alimentaire en Chine, ce n’est pas uniquement le constat d’échec du Français dans l’Empire du Milieu mais celui des acteurs du commerce physique face au e-Commerce. Par Jean-Paul Crenn, fondateur de Vuca Strategy, cabinet conseil en e-commerce et transformation digitale et président de la Fédération du e-Commerce en Occitanie.

En revendant ses parts détenues dans sa filiale chinoise SunArt, le groupe nordiste fait l’aveu de son impuissance technologique face à son partenaire Alibaba. Sunart avait été créé par Auchan, au début du millénaire, avec l’entreprise taiwanaise Ruentex Group, remplacée en 2017 par Alibaba. Avec 36% des parts, le distributeur français avait le contrôle de l’entreprise mais il n’a pas eu la capacité d’intégrer la technologie pour répondre aux attentes du marché, comme sait le faire un e-commerçant Pure-Player à l’exemple de son partenaire Alibaba. 

La force croissance de la vente via le canal numérique sur le marché chinois a porté les performances de l’entreprise de Hangzhou, avec une croissance de son bénéfice net de +143% en glissement annuel et de son cours d’action de +44,89% depuis le début de l’année. 

Ce boom de l’e-commerce en Chine, y compris dans l’alimentaire (+15%), le déséquilibre flagrant entre les 2 partenaires de SunArt, est devenu insoutenable pour Auchan. D’autant plus qu’Alibaba n’a pas caché ces dernières années son ambition sur le commerce de « magasins physiques », notamment via son enseigne Hema Fresh. 

L’offre de 3 Mds de $ permet à Auchan de se retirer sans avoir à faire face à un partenaire devenant un concurrent frontal. Les communicants du distributeur français soulignent que le marché chinois est « inspirant » mais « très spécifique » pour justifier ce retrait et en restreindre la portée. 

Pourtant le repli d’Auchan est la continuité de l’échec du commerce traditionnel face aux pure-players. Il ne fait que confirmer la future domination sans partage des acteurs du e-commerce sur la distribution, y compris physique. Avec le rachat des parts d’Auchan chez SunArt, Alibaba devient le leader de la distribution alimentaire en Chine. 

A long terme les pure players du e-commerce qui acquièrent ou créent des réseaux physiques, les « ex- Pure-Players », prendront progressivement le dessus, tout comme Alibaba l’a fait avec Auchan, tout comme Amazon l’a fait avec Barnes&Noble, Morrisons ou ToysR’us aux Etats-Unis et le fera demain en France avec le Groupe Casino via Monoprix. 

La raison de cette chute des acteurs traditionnels de la distribution physique au profit des ex-Pure Players est à la fois structurelle et culturelle. 

Les ex-pure-players ont culturellement et structurellement considéré que le client et sa donnée sont au cœur de leur activité. Ils ont mis en place un système d’information spécialisé totalement intégré, optimisé pour le traitement individualisé de la visite jusqu’à sa livraison en passant par la commande. La spécialisation et l’intégration induisent une efficience structurelle d’un tout autre niveau qu’un distributeur physique partant d’une logistique orientée vers la fourniture de magasins et essayant d’aller vers une logistique « fine » pour une livraison individualisée. 

Les acteurs traditionnels de la distribution persistent à concevoir la « tech » comme périphérique, tant au niveau stratégique que tactique comme Auchan l’a montré à nouveau en Chine. 

Il suffit de voir les affres que connaissent les distributeurs ayant fait le choix de la facilité en réalisant le picking en magasin pour leur service de drive alors qu’Amazon a fait celui de l’exigence et peut expédier un colis sous 1 heure suite à une commande en ligne bien qu’ayant un stock 3 fois moins important que ses pairs. Et ce n’est qu’un début, la firme de Seattle a investi en 2019 800 M$ pour livrer ses clients en 30 minutes d’ici 2024. Notons également que ces distributeurs externalisent leur stratégie et tactique digitale à des « agences digitales 360°» plutôt que de les considérer comme des actifs-clefs comme le font systématiquement les acteurs historiques du e-commerce. 

Pour les ex-pure-players c’est la notion centrale du client qui est à la base de leur appréciation de leur relation-client dans la durée. Ils ne se basent pas sur la rentabilité du ticket de caisse mais sur celle de ce client, tout au long de sa vie avec eux. Cela va même au-delà : les ex-Pure Players savent valoriser, grâce à la donnée, non seulement le transactionnel mais surtout le relationnel avec ces clients, au travers de l’évaluation des points de contact, au bénéfice de l’expérience et donc de la fidélisation. 

« Cent fleurs s’épanouissent » est une ancienne expression chinoise qui signifie que le printemps arrive et par extension la prospérité qu’on attend. 

C’est bien le Printemps du e-commerce qui commence juste à poindre tandis que pour la distribution historique, « l’hiver arrive ». 

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