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Pour un design plus juste

Tribune d'expert / 20 juin 2018

Et si Notre Dame des Landes avait un lien avec le design participatif ? Et si l’échec de cette politique publique, fiasco pour l’État français, pouvait permettre de mieux comprendre le métier d’agence de design ? C’est en tout cas un exemple d’actualité emblématique, aux enseignements forts, applicables au quotidien des agences, et surtout à leur méthode de travail.

Tout commence dans les années 70, lorsqu’il est décidé de construire un aéroport à Notre Dame des Landes. L’histoire, on la connait : ça ne plait pas à tout le monde, mais la démocratie en ayant décidé autrement, aéroport il doit y avoir, aéroport il y aura. S’en suivent plusieurs années de galère, pour que finalement Édouard Philippe annonce en ce début d’année 2018 qu’il n’y aura pas d’aéroport à notre Dame des Landes.  Abandon ? Victoire citoyenne ? Échec de la démocratie ? Une chose est sûre le projet n’a pas abouti, faute de consensus.

Mais qu’est-ce que le consensus ? Comment réussir ensemble ? A l’heure d’internet, du « co », du « crowd », du participatif, existe-t-il une méthode de travail plus performante qu’une autre ? Au-delà d’une mode, le collaboratif mène-t-il au succès ?

Le boom de l’économie collaborative

Le terme d’économie collaborative abrite aujourd’hui plusieurs réalités, et les différents courants de pensée s’opposent d’ailleurs sur sa définition.

A la base, l’économie collaborative est une économie de pair à pair. Elle repose sur le partage ou l’échange de biens, de services, d’expertises, de connaissances, bien souvent par le biais d’une plateforme digitale, avec ou sans rémunération. Cela concerne aussi bien le covoiturage, l’habitat collectif, la production contributive que le financement participatif ou encore le cotravail. On estime d’ailleurs aujourd’hui que 9 Français sur 10 y auraient recours d’une façon ou d’une autre, que ce soit en achetant une lampe sur Leboncoin ou en se déplaçant via BlaBlacar en période de grève, il s’agit véritablement d’une nouvelle façon de vivre. Mais d’où vient cet engouement ?

L’économie collaborative s’inscrit initialement dans un contexte de défiance envers les acteurs institutionnels, mais ce nouveau mode de consommation fait aussi écho à d’autres motivations. En effet, on observe que la culture du « nous » prend le pas sur l’individualisme d’hier, et que la notion « d’utiliser » est davantage valorisée que celle de posséder. Par exemple chez les Millennials, l’idée n’est plus d’accumuler des biens mais plutôt de vivre des expériences, de recycler des objets* ou encore de se construire des souvenirs. De plus, il ne faut pas oublier que ce nouveau modèle profite aussi et surtout aux utilisateurs, puisque c’est souvent des modèles économiques alternatifs qui permettent ainsi de bénéficier de tarifs avantageux. C’est d’ailleurs le point de départ de success stories comme Airbnb. On estime ainsi que 80% des protagonistes de l’économie collaborative ont une motivation économique.

Cela reste finalement un excellent moyen de doper son pouvoir d’achat, tout en faisant un geste pour l’environnement (pour 15%), ou encore en nouant des contacts humains (7%).

Bref, le collaboratif est partout, il est économique et même responsable… mais peut-il permettre d’arriver au consensus, d’aboutir ensemble à un travail de meilleure qualité ?

Ensemble c’est tout

Les agences de design ne pouvaient pas passer à côté de cette nouvelle économie ; d’abord parce que leurs métiers ont toujours été collaboratifs et aussi parce que de nouvelles manières de travailler émergent (cf. les plateformes de création participative). Mais ce qui reste particulièrement intéressant dans ces nouvelles pratiques, c’est l’esprit collaboratif du travail, le partage entre pairs. En effet, il semble désormais insensé de continuer à travailler seul dans son coin, comme certaines agences en avaient pris l’habitude, tout en ayant comme objectif de convaincre de la pertinence de la réponse design en fin de parcours. Non, cela n’est pas collaboratif. Et surtout, non, cela ne mène pas à la réponse la plus juste, d’où la nécessité de questionner les process.

Dès les années 80, le Design Thinking initie des changements en s’appuyant sur un processus de co-création impliquant davantage les retours des utilisateurs, mais aussi les analyses techniques des experts. L’idée n’étant plus d’innover pour innover, mais bien d’innover en réponse à de nouveaux comportements, générateurs de nouvelles opportunités. Ainsi le consommateur devient consom’acteur, il nourrit la marque et par la même occasion resserre ses liens avec celle-ci.

Prenons l’exemple de Tropicana qui, à la suite de l’échec d’une de ses refontes, décide d’associer ses consommateurs à l’élaboration de ses produits et va même jusqu’à concevoir des recettes par le biais de votes en ligne. Un bon moyen d’impliquer les consommateurs, de verrouiller les recettes et d’aboutir au succès.

C’est également ce que fait Coca-Cola avec sa campagne sur les prénoms en 2014. En offrant la possibilité de personnaliser sa bouteille, la marque a boosté ses ventes et généré plus de 10 millions de fans supplémentaires sur Facebook. Un excellent moyen aussi de fédérer une communauté…

C’est également dans cette démarche de Design Thinking et de co-créativité que les équipes font désormais appel à des tiers experts pour approfondir les sujets et explorer de nouveaux horizons connexes et inspirants. Une approche illustrée par le challenge lancé par la chaine ABC News à la société Ideo (en 1999) qui devait créer un nouveau caddie de supermarché en seulement 5 jours… Un défi qu’elle a relevé en appliquant la méthode mais surtout en s’accompagnant de designers, de médecins, de logisticiens, etc ; c’est-à-dire en combinant au maximum les compétences.

Vous l’aurez donc compris, ensemble on est plus fort ; et c’est pourquoi il est grand temps d’inclure aussi les clients. Experts de leurs cibles, de leurs marchés et de leurs produits, ils sont un peu toutes ces expertises à la fois et surtout un excellent moyen d’aller plus en profondeur sur les sujets. Une conception collaborative du travail qui permet non seulement d’ouvrir le champ d’exploration, mais aussi et surtout d’aboutir à des solutions plus justes. De plus, il est certain qu’en faisant le voyage ensemble, on remporte une meilleure adhésion de la part des équipes et surtout une meilleure appropriation pour le partage ultérieur en interne.

Pour conclure, le design participatif est donc à la fois une méthode de travail qui permet d’approfondir les sujets afin d’être plus pertinent dans les réponses apportées, mais c’est aussi une expérience humaine incontournable pour aboutir à un travail élaboré ensemble, qui fait l’unanimité. La recette finalement d’un succès.

Une étape qu’avaient peut-être oublié les initiateurs du projet de Notre Dame des Landes, en jugeant inutile d’inclure les collectifs, agriculteurs, habitants, biologistes, etc. dès le démarrage du projet…

Par Marine Monpays, Responsable du planning stratégique chez SUB, agence de design participatif

 

 

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